mardi 17 avril 2012

60, 100, 120, 130 tornades dévastent le Midwest ?!

A en croire les médias français, c’est une véritable catastrophe qui s’est abattue sur les Etats-Unis ce weekend : plus d’une centaine de tornades en 1 journée ont dévasté les villes dans la seule région des Plaines recouvrant le Kansas,  le Nebraska, l’Oklahoma et l’Iowa. C’est en tout cas clairement ce que peuvent affirmer TF1, France Télévision, Le Figaro …
C’est tellement beau que ça mérite bien un petit palmarès : mais qui donc a compté le plus de tornades ce weekend ?!
 

On retrouve d’abord un petit peloton de minimalistes avec  « une soixantaine de tornades » pour le Nouvel Obs. C’est « soixante tornades qui ont été signalées » pour RTL et Le Parisien avec le même article issu de l’AFP (néanmoins RTL nous ajoute la jolie petite recette pour faire une tornade en seulement 2 étapes, qui saura amuser les connaisseurs).
Après ce tir groupé de 60 tornades, on passe directement au chiffre symbolique, et surtout si pratique, des 100 tornades. C’est à Libération que revient cette place, avec « une série de plus de 100 tornades ». Du côté du Canada, Lapresse se veut aussi symboliquement alarmiste toujours avec « plus de 100 tornades ».
Ensuite, on double carrément la mise initiale ! Chacun avec sa formulation différente, le chiffre reste toujours le même : Le Monde évoque « près de 120 tornades », c’est « au moins 120 tornades » pour France TV, et enfin Le Figaro voit un chouilla plus gros avec « plus de 120 tornades ».
Pour conclure, le plus catastrophiste, et presque sans surprise quoique quelque peu déplacé, c’est La Chaine Météo, qui annone « plus de 130 tornades » ! Allez-y allez-y, on peut applaudir notre vainqueur !
Enfin notons aussi Ouest France, hors compétition, qui a parlé du sujet en évitant (sagement ?) d'annoncer de chiffres.

Mais dans cette tempête de chiffres qui vont du simple au double, qui croire vraiment ? J’irai même plus loin : y en a-t-il un qui a vraiment raison ?! Pour mettre un peu de lumière dans cette pagaille de course au catastrophisme, revenons plus en détail sur ce qui s’est passé aux Etats-Unis ce weekend.


Un tornado outbreak bien prévu


En fin de semaine, une goutte froide d’altitude s’est développée sur l’Ouest des Etats-Unis. Celle-ci, bien dynamique, était associée à un courant jet d’altitude, affecté d’une grande oscillation et qui s’étend jusqu’au Sud du pays. Cet ensemble est ensuite parti à la conquête de l’Est en entamant sa grande traversée des Etats-Unis. A l’avant, c’est une vague d’air chaud et humide qui envahit rapidement les terres bien sèches des grandes plaines. Constitution de plusieurs courants jets à différentes altitudes d’orientations différentes, chaleur, humidité, instabilité notable, … Tout était prévu pour un cocktail d’orages détonnant, favorable au développement de supercellules et par la même occasion, de tornades.
L’organisme national consacré à cette mission, le Storm Prediction Center (SPC) de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) l’avait bien vu en publiant ses cartes de risques orageux : tous les indices étaient au maximum sur le centre du pays, et la carte globale comprenant tous les risques orageux étendait alors une large zone de risque élevé de l’Oklahoma au Nebraska en passant par le Kansas.

The SPC is forecasting ...an outbreak of severe thunderstorms and tornadoes is expected over parts of the central plains this afternoon and tonight....  

C’est ça qui est génial aux Etats-Unis : ils ont un système de prévision et d’observation du temps ultra développé, ça nous change un peu de Météo France, faut l’avouer. Le SPC de la NOAA édite à lui seul une énorme quantité de produits relatifs à la prévision et l’observation des orages. Je ne vous parle même pas alors de l’océan de cartes que génère la NOAA entière ! Autant dire que, quand on est habitué aux seuls petits logos qui jonchent la France nous disant juste s’il va pleuvoir ou non au-dessus de telle ou telle ville, on peut très vite se perdre dans les informations du NOAA’s  SPC. Et visiblement, les médias n’ont pas cherché bien longtemps à décortiquer toute cette panoplie inhabituelle d’information !
Certes, il s’agissait bien d’un « tornado outbreak », et c’est incontestable, les tornades se développent bien plus facilement et fréquemment aux Etats-Unis qu’en France. Mais quand même, 100 tornades pour 1 seul épisode orageux, ça me paraissait beaucoup … Pour mieux me faire une idée, j’ai comparé la surface de la zone de risque élevé à celle de la France : à peine la moitié, et encore en étant généreux.

 Comparaison de la zone de risque élevé d'orages violents à la France (avec une échelle grosso-modo respectée)

Imaginez, une centaine de tornades des Pyrénées à la Normandie, ou sur un grand quart Nord-Ouest des Pays-de-la-Loire à la Lorraine, ou sur tout ce qui est au Sud d’une ligne Bordeaux-Besançon ? Imaginez tous les dégâts que ça aurait pu faire ! Néanmoins vue la différence de fréquence des tornades entre la France et les States,  j’aurais tout de même pensé ça possible, dans le doute ; si je n’avais pas observé en direct cette dégradation orageuse. J’ai jonglé toute la nuit entre les alertes du SPC, les animations radar, les vidéos live des chasseurs de tornades et toutes les autres infos qui pouvaient apparaitre sur twitter. Et de ce que j’ai vu, il me parait difficilement croyable que ces orages aient généré plus de 100 tornades ! Un MCS virulent du côté du Nebraska qui a continué sur l’Iowa, et disons une dizaine de supercellules sur tout le reste du territoire ciblé, c’est clairement impressionnant ; mais il aurait fallu que chaque orage produise en moyenne 10 tornades ?!
Après avoir décortiqué le site du SPC pour avoir plus de précisions, j’ai vite compris le cafouillage qui s’est fait.


Compter les tornades, c’est pas facile.


En fait, le SPC ne compte pas vraiment les tornades, mais les signalements de tornade. Et ça, ça change tout ! Une seule et même tornade peut être signalée 1, 2, 5, 10 fois ou plus si elle a un long trajet, ou si elle traverse une zone très peuplée. A l’inverse, des tornades un peu à l’écart peuvent ne pas être comptées si elles ne sont pas signalées. Mais pour un tornado outbreak annoncé comme celui qui a eu lieu ce 14 avril, je vous assure que chaque orage avait droit à sa grappe de chasseurs de tornades pas loin !
Vous voulez crier au scandale, au mensonge, an sensationnalisme exacerbé ? Moi aussi, mais après réflexion, il n’est pas si simple de faire autrement. Pourquoi le SPC ne compte-t-il pas le nombre de tornades unitaires et effectives ? Autant il est simple de définir la naissance d’une tornade, autant il parait plus compliqué d’en définir sa fin. Avant de pouvoir parler de tornade, on observe un tuba (un « funnel cloud » pour rester dans un contexte américain), c'est-à-dire un « appendice » qui descend progressivement du nuage en rotation rapide. On ne peut vraiment parler de tornade lorsque ce tuba touche le sol (ce moment où le chasseur s’écrit « touch down ! »). En revanche, une fois le sol atteint, la vie d’une tornade est des plus chaotiques. Elle peut s’interrompre, reprendre, s’intensifier ou s’affaiblir, sauter, … Comment définir la véritable fin d’une tornade ? Est-ce que, dès qu’elle ne touche plus le sol, on peut considérer que ce n’est plus une tornade et qu’elle est donc finie ? Mais si elle reste sous la forme d’un tuba très développé qui retouche le sol en quelques secondes voire quelques minutes, on serait tenté de dire que c’est la même tornade … De même, si le tuba se résorbe beaucoup au point de difficilement l’apercevoir, mais qu’il finit par se redévelopper plus loin, s’agit-il toujours de la même tornade ou d’une nouvelle ? Si c’est le contact au sol qui définit vraiment la tornade, à partir de combien de secondes, de minutes, de mètres sans contact peut-on la proclamer morte ?  C’est généralement une expertise de terrain qui permet de déterminer le début, la fin, le trajet, l’intensité et les éventuels événements qui ont pu l’affecter au cours de sa vie. Une expertise de terrain, c’est un travail long et pesant, qui repose sur l’observation et la compilation des effets au sol, et que l’on associe ensuite aux observations directes du phénomène (s’il yen a), et aux données météorologiques.
On comprend alors que, face aux tornades répétées que subissent les Etats-Unis, compter les signalements de tornades peut être statistiquement plus adapté que le comptage de tornades lui-même. Il faut aussi souligner un autre point : le comptage des signalements de tornades rend mieux compte de l’impact d’un tel événement que le comptage des tornades elles-mêmes. Prenez 1 seule tornade : si elle ne dure que 30 secondes et parcourt 200m, son impact sera probablement minime. Comme elle est relativement éphémère, les chances qu’elle soit signalée sont plus faibles. Maintenant, prenez toujours 1 seule tornade qui dure 1h et parcourt 40km : son impact sera clairement plus conséquent, et elle sera probablement signalée plusieurs fois tout au long de son trajet. Ainsi si le nombre de signalements semble plutôt correspondre aux dégâts qu’une tornade peut occasionner, il n’en est pas de même pour le nombre de tornades lui-même.

Néanmoins, le SPC parle systématiquement de « tornado reports » et non simplement de tornades, hormis sur une page qui synthétise le nombre de tornades comptées au cours de l’année, mais où il est clairement spécifié qu’il ne s’agit pas du nombre effectif de tornades, mais de signalements de tornades. Problème de traduction, inattention, ou volonté d’avoir les plus gros chiffres ? Quelque soit la raison, aucun média n’a semblé bon d’introduire ces petites nuances qui ont toute leur importance.

 

Les données du Storm Prediction Center de la NOAA



Pour avoir un résumé clair de la situation, je vous propose de jeter un coup d’œil à cette carte de vérification des prévisions.

 Carte des signalements de phénomènes orageux violents filtrés du SPC pour le 14/04/12
 Consulter les détails des signalements pour cette journée

Ce sont donc 110 tornado reports qui ont été enregistrés après filtrage par le SPC, ce qui peut justifier les « plus de 100 tornades ». Ils étaient 135 avant filtrage (ce filtrage se fait pour éviter les mêmes signalements dans un espace et un intervalle de temps très proches).
Après maintes recherches, je n’ai pas vu où le chiffre de 60 a pu être déniché. Peut-être une petite mesure de précaution quand ils ont vu le chiffre et qu’ils se sont dit que « nan, 110 ca va pas passer, vaut mieux mettre 60 » ?
Quant au « plus de 120 tornades », on peut l’accepter si l’on considère la dizaine de signalement de tornades qui s’est fait le lendemain dimanche 15 avril.

Bref, foncièrement, entre le nombre de tornado reports, le nombre de tornado reports filtrés, le nombre de tornades effectives, le nombre de tornado reports uniquement samedi, le nombre de tornado reports sur l’ensemble de l’événement de ce weekend, tout en sachant que tout ceci ne sont que des données préliminaires, tout le monde a un peu raison !
Je vous invite tout de même à regarder les tornado reports sur Google Maps. On aperçoit clairement le trajet de quelques tornades dans le Kansas, qui correspond exactement à la trajectoire des supercellules qui ont traversé l’Etat du Sud-Ouest au Nord-Est (voir l’animation radar). Ces quelques tornades, qualifiées de « long-track tornadoes » étant donné leur persistance, regroupent à elles-seules la majorité des tornado reports.




Comme il a été évoqué précédemment, cette façon de compter les tornades se défend. En revanche, la façon de communiquer autour de cet événement par les médias se défend beaucoup moins. Cette presse à sensation peut projeter une image apocalyptique du centre des USA. Elle l’a bien compris et s’en sert copieusement pour appâter ses lecteurs / spectateurs. Mais cet alarmisme des tornades aux Etats-Unis pousse à minimiser le risque des tornades dans d’autres parties du monde où elles sont moins fréquentes, comme la France. Surtout, tous ces articles laissent penser que c’est le nombre important de tornades qui a été dangereux et ravageur, plus que les tornades elles-mêmes, et réduit ainsi la vision du danger que peut représenter une tornade : qu’en serait-il alors d’une unique misérable tornade solitaire perdue au milieu des campagnes françaises ? A peine un événement digne de mention ! Et pourtant, elle sera tout aussi dévastatrice qu’une tornade aux Etats-Unis, voire plus : qui, en France, est préparé à l’arrivée d’une tornade, et sait comment s’en protéger ? Ce n’est en tout cas surement pas en braquant les projecteurs sur les plaines du Midwest avec les plus gros chiffres possibles que l’on portera davantage attention au risque aléatoire des tornades en France.
Combien de fois ais-je entendu dire que "les tornades, ça n'existe pas en France" ! Si l'on sait merveilleusement bien dramatiser le risque de tornades aux Etats-Unis, ce même risque en France jouit tristement d'un mutisme quasi-total.

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